De la vocation à l'enfermement

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Par Bruno Devos, paru dans La face cachée de l'Opus Dei en 2009.


En remettant la lettre de demande d’admission à l’organisation, les candidats expriment le choix d’une certaine vie spirituelle exercée dans le cadre de l’Église universelle. Très vite cependant, sous l’influence de la « formation » reçue, cette inclination va devenir un attachement quasi indéfectible à l’Œuvre. Cette organisation occupe dans le cœur de ses membres la place de l’Église, au point qu’ils finissent par s’approprier la conviction suivant laquelle il leur serait impossible de quitter l’Œuvre sans renier l’Église, sans trahir Dieu, et même sans perdre leur âme. Comment ce carcan psychique se forme-t-il ?

En premier lieu, l’idéologie opusienne développe chez les membres le mépris des biens de ce monde :

Soyez fidèles ! Ne soyez pas idiots ! Et si nous avions l’occasion de faire le petit sacrifice d’offrir une parcelle de ce monde à Dieu et que nous ne le faisions pas, quel serait notre amour ? Soyez fidèles[1] !

Elle inculque ensuite aux membres la conviction selon laquelle tout départ équivaudrait à un échec personnel total :

Pour celui qui a déjà goûté à la saveur du don de soi, tomber ressemblerait à une trahison, à une misérable tromperie[2].

Hors de l’Opus Dei, point de salut. L’intention de rejoindre l’Église serait-elle une voie de perdition ? En tout cas, le fondateur est convaincu qu’une telle décision pourrait s’accompagner de grand malheur :

Mes enfants, vous ne trouverez pas le bonheur en dehors de votre chemin. Si l’un d’entre vous s’égarait, il n’aurait plus que d’immenses remords : ce serait un pauvre malheureux. Quand on abandonne sa vocation, ce qui peut être un bonheur tout relatif pour d’autres, devient pour nous aussi amer que le fiel, aussi aigre que le vinaigre, aussi abject que l’arsenic[3].

Quel membre aurait envie de vérifier ces prédictions, en échange d’un bonheur tout relatif ? Mais d’où viennent ce fiel et cet arsenic ? Ne seraient-ils pas injectés par le fondateur lui-même ?

On s’efforcera de lui faire comprendre [à celui qui veut quitter l’Œuvre] qu’avec le temps, son cœur se remplira de chagrin et de honte face à Dieu, face à sa conscience et face aux hommes. Et que rejeter l’aide surnaturelle qu’on lui offre, surtout en ces moments d’aveuglement, signifie tenter Dieu notre Seigneur. Il risque de perdre le bonheur terrestre – le gaudium cum pace – et peut-être le bonheur éternel[4].

Enfer et damnation ! Quitter l’Œuvre, c’est donc sauter de la barque de saint Pierre dans l’Évangile, autrement dit l’Église elle-même :

Dès que tu es monté dans cette barque, cette barque qu’est l’Opus Dei, [...] tu as offert à Jésus ta liberté, et tes ambitions personnelles sont devenues très secondaires. Tu peux te mouvoir librement dans cette barque, mais n’oublie pas que tu ne peux en sortir. [...] Si tu sors de cette barque, tu seras emporté par les flots, tu te dirigeras vers ta propre mort, tu périras noyé dans l’océan, tu cesseras d’être avec le Christ. [...]
Toi qui es monté dans cette barque de l’Œuvre parce que tu en avais envie, parce que sans aucun doute, Dieu t’a appelé, tu dois répondre à cette grâce en te consumant, en transformant ton sacrifice, ce don de toi en une offrande, un holocauste ! [...]
Si tu veux vivre, vivre éternellement dans l’honneur éternel ; si tu veux le bonheur éternel, tu ne peux sortir de la barque et tu dois souvent oublier tes ambitions personnelles. Moi, je n’ai qu’une ambition, la même pour tous : obéir. Comme il est beau d’obéir ! [...]
Si dans cette pauvre et humble barque, tu as la nostalgie de cet avion que tu pilotais à la perfection, et que tu te mets à le regretter en pensant : Ah, cet avion pourrait m’emmener si loin ! Alors, va-t’en, va rejoindre un porte-avion, ici nous n’avons pas besoin de ton avion ! [...]
Dans cette barque, on ne peut faire ce qui nous chante.
Mon enfant, sois-en convaincu une fois pour toutes : quitter cette barque, c’est mourir. Et pour rester dans cette barque, tu dois soumettre ton intelligence. Tu dois accomplir un profond travail d’humilité : te donner, te consumer, t’offrir en holocauste[5].

Quand on croit dur comme fer que ces paroles viennent « spécialement du Christ » on se retrouve dans un état d’enfermement psychique rarement réversible. Don Alvaro, premier successeur de saint Josémaria, comparait tout abandon de l’Œuvre avec la trahison de Judas :

Quel tragique mensonge que de prétendre camoufler l’infidélité sous les apparences de l’amour ! Judas a trahi le Seigneur pour de l’argent, d’autres ont abandonné saint Paul pour les plaisirs de ce monde… Au fond, il y a toujours de l’égoïsme et de l’orgueil. Le « moi » lorsqu’il s’égare rend impossible toute fidélité. Pour nous, la fidélité à notre appel signifie être fidèle à notre vocation chrétienne : à l’Amour de Dieu. C’est ainsi que l’on comprend parfaitement ces paroles fermes de notre Père [du fondateur] : si l’un de mes fils s’en va, s’il cesse de combattre ou tourne le dos à sa vocation, il doit savoir qu’il nous trahit tous : Jésus-Christ, l’Église, ses frères dans l’Œuvre, toutes les âmes[6].

L’enfermement est total, toutes les issues sont barrées, notamment celles de secours que pourrait offrir l’amour humain :

Soyez sûrs que l’infidélité, s’attacher à un amour de la terre, serait le début d’une vie pleine d’amertume, de tristesse, de honte, de douleur[7].

Où est le Dieu miséricordieux, respectant la liberté de ses enfants ? Au travers de saint Josemaria, c’est un juge terrible qui s’exprime, torture et condamne par avance ceux qui quitteraient l’Œuvre de son prophète. Tous leurs efforts, leurs actions et leurs initiatives seraient dès lors entravés par ce dieu vengeur.

Au cas où cette menace se révélerait insuffisante, la Prélature a prévu des sanctions matérielles à l’encontre de ceux qui la quittent. Voici le traitement que l’Opus Dei réserve à « ceux qui n’ont pas persévéré » :

Il faut éviter tout ce qui peut contribuer à donner - aux intéressés et à ceux qui sont fidèles à leur vocation - la fausse impression « qu’il ne s’est rien passé », qu’il n’est pas si grave d’être infidèle. [...] Il serait déplacé qu’après avoir abandonné leur chemin, ils commencent à collaborer professionnellement avec des personnes de l’Œuvre et qu’ils en tirent des bénéfices matériels[8].

Autrement dit, si, au sein de l’Œuvre, on travaillait pour une entreprise liée d’une manière ou d’une autre à un membre de l’organisation, on doit être licencié dès notre sortie de l’Opus Dei. Si l’on enseignait dans l’un de ses collèges, notre contrat sera déclaré invalide. Si l’on enseignait dans l’une de ses universités, on sera licencié sans reconnaissance aucune de nos compétences professionnelles. Si l’on y étudiait, on nous conseillera d’aller sans attendre, voir ailleurs. Si notre société négociait des affaires avec des affiliés à l’Opus Dei, nos clients, fournisseurs et commandes se volatiliseront dans l’instant.

Bien entendu, tout cela par amour de Dieu et pour le bien de l’Œuvre, au cas où les traîtres penseraient, à tort, « qu’il ne s’est rien passé ».




  1. Saint Josémaria, Crónica IX-60, p. 10.
  2. Saint Josémaria, Lettre Videns eos, 24 mars 1931, n° 45.
  3. Saint Josémaria, méditation 8 mars 1962, w Méditations, tome III, p. 389.
  4. Vade-mecum du gouvernement local, 19 mars 2002, p. 64.
  5. Saint Josémaria, méditation Vivre pour la gloire de Dieu, 21 novembre 1954.
  6. Don Alvaro, lettre de mars 1992.
  7. Saint Josémaria, Lettre Videns eos, 24 mars 1931, n° 23.
  8. Vade-mecum du gouvernement local, 19 mars 2002, p. 67.


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