Après 7 ans de blackout sur l'Opus

From Opus-Info
Revision as of 16:26, 28 September 2008 by Bruno (talk | contribs)
(diff) ← Older revision | Latest revision (diff) | Newer revision → (diff)
Jump to navigation Jump to search

Je suis française et j'ai été numéraire pendant 13 ans et comme je l'ai brièvement dit dans mon premier contact avec orejas, j'ai fait un black-out avec l'Opus depuis 7 ans, depuis ce jour où je n'ai pas persévéré, comme on dit dans l'Opus Dei. Ce qui me fait penser à cette expression libanaise, puisque désormais je vis au Liban: ici, quand on parle de ces 17 ans de guerre qui viennent de s'écouler, on dit les événements.

A propos des lettres de Josito, Guiomar, ed', Sonsoles... que j'ai lues avec beaucoup d'attention, je voulais vous dire que j'ai vécu avec des gens dans l'Opus qui avaient un grand coeur, qui savaient véritablement aimer les autre et les comprendre et j'aimerais leur rendre hommage parce que je pense qu'ils sont toujours dans la obra.

Et je me souviens particulièrement d'une numéraire. J'avais 20 ans, elle en avait 30 et elle me raccompagnait à la gare. Je venais de passer 1 mois à Madrid dans une grande Administration pour m'éloigner de ma famille et pour que je comprenne ce qu'était la Obra en Espagne. En la quittant je ne lui ai pas dit Pax et elle ne m'a pas répondu In aeternum mais je lui ai dit :

"Es dificil tener un corazon" et elle m'a répondu du tac-au-tac:

"Pero es muy bueno, no?"

Je ne l'ai jamais oubliée et je me demande ce qu'elle est devenue.

En tout cas, je n'ai pas rencontré ce genre de personnes dans les hautes sphères de l'état-major opusien. Il y avait même un prêtre, Directeur Régional et directeur de consciences, que je redoutais particulièrement et que j'appelais Guernica car il me faisait penser à la toile de Picasso. Après chaque confession, avec lui, au lieu de me laisser le coeur en paix, je me sentais Guernicada. Je ne pense pas avoir été la seule.

Quant à la Directrice Régionale de l'époque, lors de mon dernier entretien avec elle avant de partir, elle m'a dit le plus sérieusement du monde:

"Tu pourras continuer à vivre, mais tu seras handicapée toute ta vie, comme si tu avais un bras en moins",

"Mais" a-t-elle ajouté "peut-être qu'on peut vivre avec un bras en moins"...

Il y a quelque chose d'assez paradoxal que j'ai appris dans l'Opus, j'avais tout le temps une tendance aux amitiés particulières contre lesquelles je tentais de lutter, mais c'était plus fort que moi, et en même temps j'ai appris à aimer, plutôt disons à être en bon terme, oui finalement à aimer, des numéraires qui dans ma vie d'aujourd'hui et même d'avant n'auraient jamais pu être mes amis.

Je n'ai jamais, je pense, été une numéraire exemplaire, en 13 ans, je n'ai jamais fait pitar personne, je n'ai jamais reçu d'entretien fraternel, je n'ai jamais eû de charge apostolique dans la obra de san Gabriel, par contre dans la obra de san Rafael, oui, (entre nous, toute petite puisqu'on était en France et qu'on n'arrêtait pas de nous répéter que la France était une petite région qui devait grandir, grandir, grandir...)

C'est vrai qu'en tant que numéraire j'avais une vie un peu particulière puisque je travaille dans le cinéma et que peu de temps après avoir fait la fidélité, j'ai demandé une dispense de la vie de famille parce que j'explosais.

Il y avait une telle béance entre le monde de mon travail et tout simplement de la rue (la calle, cette rue dont on parle tant dans l'Opus Dei et pour laquelle se pita) et l'univers étouffant, confiné, "hors la vie" des centres qui m'angoissait profondément.

A propos du cinéma, je voulais juste ajouter que travailler dans ce milieu "dangereux pour mon âme", n'a pas été facile, j'ai du me battre aussi car les trois premières années de ma vie dans l'Opus, j'ai été orientée vers des études d'architecture-décoration intérieure, j'ai compris plus tard que ma carrière était toute tracée dans l'installation des Centres. Donc, après ces 3 ans d'études, je leur ai dit que "maintenant que j'avais fait ça, j'aimerais vraiment revenir à ma vraie vocation professionnelle".

Et pour revenir à notre sujet sur ce qu'on pourrait appeller le mal être affectif des ex numéraires et agrégés, il me semble qu'avant tout vous et moi on s'était engagés à une fidélité absolue à Dieu et personnellement, je n'ai jamais douté de l'amour de Dieu pour moi, ce qui fait que je n'ai jamais douté consciemment de ma vocation à l'Opus Dei car pour moi quitter l'Opus c'était trahir Dieu. Cependant, je demandais souvent à Dieu dans la prière de me sortir de là.

Avant de faire la fidélité, j'avais interrogé la directrice de mon Centre : "Est-ce que je vais faire la fidélité?, mais bien sûr m'avait-elle répondu, pourquoi? Je ne comprend pas, je ne suis pas quelqu'un de franchement top" Oui, mais tu as la vocation, tu as la vocation, une vocation grosse comme une cathédrale, et une vocation de numéraire", me suis-je entendu dire et répéter pendant 13 ans.

Jusqu'au jour où à Beyrouth, en la calle, dans une rue détruite par la guerre, alors que je me rendais au cercle, il y a sept ans, j'ai dit à Dieu que j'en avais marre de jouer un rôle, de faire semblant. Je suis entrée dans le Centre, j'ai salué les personnes qui étaient dans le vestibule et je suis ressortie immédiatement, pleine d'une liberté toute nouvelle, celle d'avoir dit non à ces 13 ans de ma vie passée et avec la certitude que rien ni personne ne pourrait me faire revenir sur cette décision.

Lorsque j'ai écrit ma lettre de démission al Padre, il m'a fait répondre (comme si un père n'était pas capable de parler directement à un de ses enfants qui est en train de lui dire adieu pour toujours) qu'il n'était pas convaincu de ma lettre. J'ai dû lui écrire une seconde lettre en lui disant que tout ce qui était dans cette première lettre, je l'avais écrit en présence de Dieu et que cela avait mûri en moi pendant 13 ans, et que surtout, on ne peut pas aimer si l'on n'est pas libre.

Pendant 7 ans, j'ai fait un blackout sur l'Opus et là, je voudrais m'adresser plus particulièrement à Josito, Edu et aussi tant d'autres : non, vous n'êtes pas seuls à vivre ce mal-être affectif, et vous savez, j'ai l'impression parfois d'errer à travers le monde, emportée par la première vague qui me sourira.

Je crois, à la fois que c'est un problème existentiel très fort en occident, il y a une forte tendance à la dépression dans les pays dit "développés".

Personnellement ce qui m'a sauvée, c'est d'arriver à Beyrouth où les canons venaient juste de se taire.

Beyrouth était en pleine reconstruction et moi aussi, c'est pourquoi entre cette ville et moi, ce fut le coup de foudre.

Il faut du temps pour se reconstruire ça, je sais que vous savez. Mais je voulais particulièrement vous dire, que si on s'engage comme numéraire, à 15 ans avec derrière soi une éducation des fomentos ou un peu plus tard à 18 ans, alors qu'on n'a jamais entendu parler de l'Opus Dei auparavant, on s'engage avant tout pour et avec Dieu et je pense qu'il ne nous laissera jamais tomber.

Je vous avoue que je ne vais plus à l'église, ni ne recois plus les sacrements depuis environ cinq ans, mais Dieu me manque terriblement. Peut-être que pour certains d'entre nous (on est chacun tellement différent), il est plus difficile que pour d'autres d'avoir une vie de couple quelle qu'elle soit, non par égoïsme, ni par manque d'expériences, mais peut-être parce qu'on a eû Dieu comme compagnon (même si ce concept de compagnon était directement rattaché à une vision opusienne) et qu'on veut se prouver que quelque part, on est normal.

Je crois surtout, comme vous le savez aussi que le processus de déconstruction-reconstruction est long... pour moi, il est loin d'être fini, il a commencé il y a seulement 7 ans, mais je voulais juste vous dire que jamais on a le droit de se sentir condamné, même si ce poids de tant d'années passées dans l'opus revient souvent nous hanter et qu'on a tellement de mal parfois à se débarrasser de tellement d'habitus justifiés par un soi-disant appel à la sainteté qui faisait fi de notre conscience et de notre liberté.