Sale temps pour l’Opus Dei

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Par Philippe BALLAUX, 26.08.2022, Article paru dans le magazine GOLIAS


Si ce n’est pas une douche écossaise, cela en a tout l’air ! Ainsi donc, le Pape François a publié un Motu proprio intitulé « Ad charisma tuendum » (traduisez : « Afin de protéger le charisme ») par lequel il édicte à l’endroit de l’Opus Dei certaines directives d’application de sa récente Exhortation apostolique relative à la réforme de la curie romaine.


Qu’en ressort-il exactement ?

Le Souverain Pontife souligne tout d’abord le rôle éminent joué par l’OEuvre pour rappeler à tous les baptisés l’appel universel à la sainteté : c’est au sein du monde que chacun peut tendre à la sainteté par la sanctification de son travail ordinaire et de ses divers engagements familiaux et sociaux ; il ajoute ensuite que cette action se réalise « par les clercs incardinés en elle [la Prélature] avec la coopération organique des laïcs qui se dédient aux tâches apostoliques ».

Une telle formulation est tout sauf anodine : elle vient confirmer que l’Opus Dei, en tant que Prélature, ne peut en rien être équiparée à un diocèse « cum proprio populo » ayant de droit un évêque à sa tête. Telle était pourtant l’ambition du fondateur de l’OEuvre, Escrivà de Balaguer (raison pour laquelle il a tenté à plusieurs reprises, en vain, d’être fait évêque). Mais c’est surtout à son fidèle successeur, Alvaro del Portillo que l’on doit l’érection de l’Opus Dei en en Prélature personnelle : authentique cheville ouvrière de cette reconnaissance, il l’obtint en 1982 par la publication de la Constitution « Ut sit », laquelle lui fut donnée sous le Pontificat de Jean-Paul II.

Cette volonté de l’Opus Dei d’être érigée en quasi-diocèse explique pourquoi ses canonistes se sont ingéniés pendant quarante ans à créer une impressionnante doctrine pour tenter de faire de leur Prélature personnelle une portion intégrante de la structure hiérarchique de l’Eglise. C’est tout cet édifice fantasmé que le Pape François vient de réduire à néant : l’Opus Dei est donc, ni plus ni moins, une association de clercs dépendant du Dicastère du Clergé et non des Evêques.


Et qu’en est-il du Prélat ? Ici encore, François enfonce le clou ; à l’article 4 de son Motu proprio, il affirme clairement que « le Prélat ne peut être honoré, ni susceptible de l’être, avec l’ordre épiscopal ». Exit donc la mitre, la crosse, l’anneau et autres signes distinctifs dont Fernando Ocariz, actuel Prélat de l’Opus Dei, s’était quelque peu précipitamment affublé lors de son élection en janvier 2017. Et pour cause, Ocariz s’était avéré un fervent partisan de la consécration épiscopale pour les Prélats de l’Opus Dei. C’est ainsi qu’il écrivait en 1991 : “Quelle est la nature théologique de la juridiction du Prélat sur les fidèles laïcs de l’Opus Dei ? (…) Elle ne peut être qu’une juridiction de nature épiscopale : il n’existe en effet aucune autre possibilité théologique ». Plus récemment encore, en mars dernier, tentant peut-être de sauver in extremis ce que semblait menacer l’Exhortation apostolique citée plus haut, il écrivait aux membres de l’OEuvre que celle-ci « ne modifie en rien la substance même de l’Opus Dei ». Pour finir par se dédire avec une facilité déconcertante le 22 juillet, assurant que « L’ordination épiscopale du Prélat n’a jamais été ni n’est nécessaire pour la conduite de l’Opus Dei ». N’est-ce pas Voltaire qui affirmait que la politique est l’art de mentir à bon escient ?

Pour l’anecdote, François – qui décidément n’en rate pas une ! – a cru bon d’honorer le Prélat de l’Opus Dei, à défaut du rang épiscopal, du titre de « Protonotaire apostolique surnuméraire » : en guise de lot de consolation, on pouvait difficilement faire mieux…

Plus sérieusement, on retiendra la motivation de fond qui se dégage du Motu proprio en son article 4 : ce que le Souverain Pontife entend (faire) respecter avant tout, c’est la nature du charisme spécifique reçu par Escrivà, don particulier de l’Esprit, lequel « nécessite une forme de gouvernement basée davantage sur le charisme que sur l’autorité hiérarchique ».

Voilà qui remet en cause la praxis même de l’OEuvre, institution on ne peut plus centralisée et hiérarchique, faisant que tout type d’information – y compris des éléments relevant du for interne de nombreux membres – remontent jusqu’au siège central de la Prélature, à Rome. Dans le même ordre d’idées, c’est de Rome que partent les directives qui devront être appliquées au niveau national ou régional.

Ce « modus operandi » a été directement hérité du fondateur qui imposait ses volontés d’une main de fer, traitant sans ménagement toute personne se risquant à contester son autorité : les témoignages en ce sens abondent, comme celui – édifiant – de Maria del Carmen Tapia, séquestrée des mois durant au siège central de l’Opus Dei, privée de contact avec l’extérieur, traitée de « pute » (sic) par Escrivà à l’occasion d’une bronca mémorable, humiliée publiquement, menacée et finalement éjectée pour avoir osé remettre en cause une instruction venant du fondateur (dont elle avait d’ailleurs été un temps la secrétaire particulière). Il est vrai qu’Escrivà faisait preuve d’un caractère bien trempé : il était et se voulait « caudillo », souhaitant une autorité ecclésiastique verticale, forte et triomphante, au point d’avoir critiqué mezza voce le Pape Paul VI, que ce soit pour s’être montré, selon lui, trop humble - « tan humildico » - face au Patriarche Athénagoras I ou hésitant à condamner fermement les dérives progressistes du temps.

Inutile de préciser qu’Escrivà s’était aussi sérieusement alarmé des changements majeurs induits par le Concile Vatican II : il s’en était ouvert aux membres de l’OEuvre dans diverses lettres, les assurant qu’il leur revenait d’ « initier la conversion de l’Eglise, aux mains du démon qui la pourrit de l’intérieur ». De là, sans doute, ce sentiment de supériorité que l’on distingue si aisément dans la posture adoptée par l’Opus Dei et nombre de ses membres dans leurs interactions avec d’autres associations ou mouvements d’Eglise.


On mesure ainsi la révolution copernicienne que l’Opus Dei est amenée à opérer.

L’entreprise ne sera pas facile, c’est le moins qu’on puisse dire : d’abord parce qu’Escrivà se targuait d’avoir « sculpté l’esprit de l’OEuvre dans le marbre », assurant que, de la sorte, il n’y aurait aucun tremblement de terre au sein de l’institution à son décès ; ensuite parce que del Portillo, dès son élection à la tête de l’Opus Dei, jeta une authentique malédiction sur tout qui s’aviserait de changer un iota à l’esprit et à la praxis de l’OEuvre tels que les avait définis leur saint fondateur. C’est ce qui explique l’impossible grand écart auquel le second successeur d’Escrivà, Javier Echevarria, fut contraint lorsqu’il s’était agi pour lui de rendre compatibles la praxis de l’Opus Dei et les exigences du droit canon relatives au respect des fors interne et externe : en effet, la confusion des fors est inscrite jusque dans les textes destinés aux directeurs et membres de l’OEuvre, ce qui fut dénoncé à maintes reprises à Rome. En réponse à ces dénonciations, Echevarria s’était fendu d’une lettre publique revendiquant le fait que la séparation des fors avait toujours été et continuait d’être pratiquée au sein de l’Opus Dei : il s’en était suivi un énorme scandale, jusques et y compris dans les rangs même de l’institution.

Cela étant, on comprend que le Pape appelle à une révision des statuts de la Prélature : il reviendra à celle-ci de les soumettre à l’autorité compétente du Siège Apostolique pour approbation. En outre, il lui est demandé d’adresser un rapport annuel au Dicastère pour le Clergé sur les activités de l’OEuvre.


En définitive, que convient-il de retenir de cette « capitis diminutio » appliquée à l’Opus Dei par le Pape François ?

Que du bon, serait-on tenté de dire.

En effet, que pourrait-il advenir de mieux à l’Opus Dei que de renouer avec son charisme fondationnel ? Nombreux sont ceux qui, atteints par le message de l’OEuvre, ont (re)découvert cette vérité essentielle : l’appel à la sainteté est une vocation qui concerne tout un chacun, quel que soit son état, sa condition sociale ou son orientation professionnelle. Il y a là, assurément, de quoi dégager une vision et donner un sens au quotidien le plus immédiat. Et Dieu sait combien notre époque en a un pressant besoin…


Certes, la « spiritualité » de l’OEuvre, sa praxis – et plus encore les dérives internes, si elles ne sont pas corrigées – ne conviendront pas au grand nombre ; c’est ce que semblent en tout cas confirmer les multiples défections, sans cesse croissantes, de même que le faible taux de renouvellement des « vocations » qu’enregistre la Prélature.

Devrait-elle toutefois profiter de l’occasion que lui offre le Souverain Pontife d’effectuer l’indispensable metanoïa à laquelle il l’appelle qu’elle en sortirait émondée, prête à porter de nouveaux fruits, gorgés d’authentiques saveurs de vie. Mais l’Opus Dei et ses membres seront-ils à même, tant à titre individuel que collectif, d’accepter cette confrontation avec leur part d’ombre ? Rien de moins sûr ! Les vieux réflexes de crispation risquent bien de prendre le dessus : dès après la publication du Motu proprio, Luis Felipe Navarro, Recteur de l’Université Pontificale de la Sainte-Croix (qui dépend de l’Opus Dei), a cru bon de rappeler à qui voulait l’entendre que charisme et autorité hiérarchique ne sont en rien incompatibles. Dont acte. Mais qui contesterait une telle évidence ?

Ce que semble ne pas saisir M. Navarro, c’est que l’autorité hiérarchique, telle que pratiquée dans l’Opus Dei, a pour effet d’étouffer le charisme : affaibli, celui-ci n’inspire plus, comme il le devrait, l’aspect institutionnel lequel a tôt fait de muter en une structure de pouvoir autoréférentielle, uniquement soucieuse d’elle-même et de son affirmation égotique (pouvoir, possessions, paraître) au détriment de sa raison d’être, c’est-à-dire de son charisme.


Cela dit, si les seconds couteaux comme Navarro montent si rapidement au créneau, ce n’est que pour mieux préparer le terrain aux propos du Prélat lui-même, apparemment plus mesurés dans la forme à défaut d’être moins assassins sur le fond. En effet, lors d’une rencontre récente à l’IESE – Business School dépendant de l’Opus Dei – Ocariz a pris soin de souligner, comme le rapporte un participant, que le Pape n’est pas infaillible quand il s’exprime dans le cadre d’un Motu proprio ; que ses décisions, a-t-il encore précisé, « peuvent ne pas nous plaire mais nous les accepterons filialement ». Il a ensuite insisté sur le fait que les changements n’allaient pas être très importants, concernant essentiellement les rapports de la Prélature avec le Saint-Siège.

Bref, comment ne pas voir là un déni en bonne et due forme équivalant, pour tout qui maîtrise tant soit peu la doxa interne, à un « Circulez, il n’y a rien à voir ! ». Il ne faudrait donc pas se méprendre sur la réelle portée du message que Ocariz adresse à ses ouailles : on fait profil bas et on attend des jours meilleurs. Ou, selon la formule répétée à l’envi chaque fois qu’il s’est agi pour l’Opus Dei de faire face à un revers de fortune juridique : « Concéder sans céder dans l’intention de récupérer ! ».

D’ailleurs, ce que l’on pourrait appeler le numéraire de base de l’Opus Dei n’accorde que très peu d’intérêt aux questions relatives à la formule juridique, aux statuts et autres constitutions internes (auxquelles, soit dit en passant, il n’a pas accès : les demander serait même faire preuve de très mauvais esprit !). On ne s’étonnera donc pas qu’il ne cherche aucunement à comprendre en quoi le Motu proprio le concerne alors que ses implications l’affecteront au premier chef : nombreux sont ceux, prêtres et laïcs confondus, qui ont regretté de ne pas s’être interrogés à temps sur leur statut ; ils en ont pris douloureusement conscience le jour où, pour une raison ou une autre – comme il en existe mille – ils ont été amenés à quitter l’OEuvre après parfois plusieurs décennies de service fait d’engagement et d’abnégation.


Quoi qu’il en soit, il reste à voir comment seront reçus par le Saint-Siège les statuts mis à jour par la Prélature : au-delà des déclarations d’intention, c’est la congruence de ceux- ci avec les pratiques internes que le Dicastère pour le Clergé aura à vérifier. L’entreprise s’avèrera délicate tant il est vrai que l’Opus Dei fait preuve d’un savoir-faire tout particulier dans le marketing de ce qu’elle n’est pas (c’est-à-dire, par exemple, respectueuse des libertés individuelles, soumise aux autorités ecclésiastiques et désireuse de collaborer avec elles, etc.).

Rappelons encore que les statuts actuels (datant de 1982) sont qualifiés en interne de « saints, perpétuels et inviolables » : rien de moins ! On imagine difficilement le numéro de contorsionnistes auquel les juristes de l’Opus Dei auront à se prêter une fois encore quand il leur reviendra de rendre ceux-ci compatibles avec les attentes du Saint-Siège.


L’Histoire retiendra – et ce n’est pas la moindre des ironies – qu’il aura fallu un Pape jésuite pour inciter l’Opus Dei à se réformer. L’ordre jésuite, étiqueté dans l’OEuvre comme « ceux de toujours », est en effet considéré comme l’ennemi historique, accusé – non sans raison, semble-t-il – d’avoir cherché à étouffer l’OEuvre de Dieu dès son origine, à tel point qu’Escrivà assurait que jamais un jésuite ne franchirait le seuil d’un centre de l’Opus Dei.

Pour le coup, force est de constater qu’il en est un, pourtant, dont l’entrée s’y est faite par la grande porte ; certes avec l’habileté diplomatique qui convient, mais de façon tout de même assez fracassante…