Trois questions à l'Opus Dei

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par le Père Marcel METZGER, professeur à la faculté théologique de Strasbourg


En ces temps où les Églises devraient investir leurs forces dans la mission, est-il tellement raisonnable que des catholiques mettent de leur temps et de leur énergie les uns à contester, les autres à justifier l'Opus Dei ?

Hélas ! Parce qu'il y va aussi de la mission, il faut bien emprunter, au moins pour quelques pas, ce détour. Je le ferai donc, moi aussi, en espérant, par ces lignes, l'éviter à d'autres.

Je ne connais l'Opus Dei que par des lectures et ici je ne prendrai appui que sur un article de D. Le fourneau, dont l'objet était de justifier l'érection de l'Opus Dei en prélature personnelle (dans Revue des sciences religieuses, Strasbourg, octobre 1983, p. 295a).

Bien sûr, je n'ai rien à dire sur les progrès tout intérieurs de conversion personnelle, de contemplation et de prière pour l'ensemble de cette association : Dieu seul peut en connaître, car toute croissance en ce domaine est de l'ordre de la "semence qui croît d'elle-même", c'est-à-dire que Dieu fait croître (Mc 4, 26-29). Je n'interviendrai que dans le domaine de la pastorale et il me semble important, dans l'esprit chrétien, d'aborder de telles questions sur la place publique de l'Eglise, car, chrétiens, nous formons ensemble un seul corps, laïcs et clercs, solidaires les uns des autres, surtout quand il y va de notre disponibilité à l'égard du règne de Dieu. J'aborderai trois questions : l'ecclésiologie, la publicité dans l'Eglise et l'appel à la sainteté.

L'ECCLESIOLOGIE

Plusieurs des conflits nés à propos de l'Opus Dei me paraissent provenir de divergence de vues sur l'articulation entre Eglise universelle et Eglises locales : des prélats ayant des responsabilités supradiocésaines ont fait appel à l'Opus Dei et les communautés locales y ont fait obstacle. Or, la cohésion des Eglises locales est de plus en plus propre comme une nécessité liée la Mission et c'est ce point précis que l'Opus Dei me paraît ignorer ; son organisation supra-diocésaine l'y rend d'autant moins sensible ! Ainsi dans l'article signalé peut-on lire: "Dieu a mis l'Oeuvre à jour une fois pour toutes, en lui donnant ces caractéristiques particulières, laïques ; et elle n'aura jamais besoin de s'adapter au monde..." (p. 299). Je ne sais si l'Opus Dei n'aura jamais besoin de s'adapter au monde, mais il me paraît certain qu'elle doit s'adapter à l'Eglise d'aujourd'hui, qui a tellement évolué depuis le temps du P. Escriva de Balaguer.

PUBLICITE

Ne serait-ce qu'une impression ? Je ne sais, mais j'ai le sentiment d'assister depuis quelques années, dans l'Eglise, à une sorte de campagne publicitaire en faveur de l'Opus Dei. Reportages, articles que des membres de cette association confient à des revues, même les réactions hostiles sont exploitées avec habileté : établir un parallèle entre l'histoire de la Compagnie de Jésus et l'Opus Dei, c'est, annoncer le triomphe final de celle-ci ! Mais est-il indiqué de "vendre un tel produit" à grand renfort de citations dithyrambiques et de louanges épiscopales et cardinalices (cf p. 300 de l'article cité), en démontrant que toutes les orientations de l'Opus Dei sont dans le droit fil du dernier Concile, mieux encore, quelles sont voulues par Dieu lui-même ? Dans une Eglise servante et pauvre on préférerait entendre un langage moins triomphaliste.

UN APPEL A LA SAINTETE

Le grand mérite de l'Opus Dei est certainement de faire entendre le plus largement dans toute l'Eglise l'appel à la sainteté. Cependant, la présentation de cet appel et le langage qui l'exprime sont trop marqués par la situation de chrétienté. D'une part, la sainteté m'y parait trop souvent décrite sous son aspect individuel et on néglige d'y présenter l'Eglise comme lieu de la sainteté. La même remarque vaut pour la présentation de l'apostolat. D'autre part, il est des expressions qui heurtent désormais nos oreilles (sans parler de la théologie quelle pourraient recouvrir !) depuis le profond renouveau biblique et patristique dont le dernier Concile s'est fait l'écho: "Se sanctifier, sanctifier les autres par la profession, sanctifier le monde du dedans, participer à la corédemption de l'humanité". Tout le Nouveau Testament nous apprend que la sainteté est un don de Dieu : or, ces expressions n'y correspondent pas.

Que peut-on attendre de l'Opus Dei en pastorale ? Je n'exprimerai ici que mon opinion ou plutôt mes souhaits. Que les théologiens de cette association religieuse reformulent donc leur ecclésiologie et leur langage au sujet de l'appel à la sainteté ; que tous ses membres laissent la maîtrise de l'ouvrage (opus) un peu plus à Dieu. Cela apaisera peut-être les réactions hostiles à leur égard et leur évitera certainement de devoir trop investir dans la publicité à l'intérieur de I'Eglise.


La Croix - 14 mai 1985