Pourquoi je suis parti

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José Carlos (États-Unis, 1er octobre 2004)


J’avais un sens de l’amitié si fort, que lorsque je devais dire adieu à des gens avec lesquels j’avais accompli un travail social au Mexique ou en Inde, je pleurais comme un enfant pendant tout le voyage de retour en avion. Mes amis, la vie de famille et le travail apostolique m’ont permis de canaliser cette affectivité débordante. J’avais trop tendance à m’attacher aux gens et dus apprendre à ne pas laisser de côté ceux qui m’attiraient moins, pour agir comme le Christ.

Je poursuivais mes études de médecine aux États-Unis, le rythme était dur. Commençant mon travail à 7 heures, je devais me lever à 4 h 30, pour assister à la messe de 6 heures J’étais de garde trois ou quatre nuits par semaine pendant lesquelles je fermais rarement l’œil. Le lendemain, je travaillais jusqu’à 19 heures. Je n’avais que quatre jours de repos par mois. Il me fallait être constamment attentif aux malades et agréable avec tout le monde : mes patients, les familles, les infirmières, mes collègues, les étudiants, mes supérieurs. Je courais tout le temps et devais prendre des décisions dans l’urgence. Je voyais des malades mourir malgré tant d’efforts. Je n’avais jamais vécu une telle abnégation. En plus, j’étais numéraire, donc il y avait les « normes », les moyens de formation, les charges apostoliques et la vie dite « de famille ».

Mais l’ambiance de service et de camaraderie à l’hôpital est aussi merveilleusement enrichissante. Pour moi, ce fut la grande révélation de ma vocation professionnelle. Je pouvais vraiment tenter de suivre Jésus pour modèle dans ma vie de tous les jours. Et vu mon caractère, j’avais toujours des relations intenses, pleines d’émotion. J’avais de vrais amis et cela me rendait profondément heureux.

Naturellement, je ne faisais aucune différence entre mes collègues hommes et femmes. On travaillait ensemble, on partageait les mêmes idéaux et surtout on soignait les mêmes patients jour après jour. Je me retrouvais parfois dans des situations, inoffensives en soi, mais impossibles à vivre pour un numéraire. Je ne sais pas s’il en est de même pour tous ceux qui se sont consacrés à Dieu dans le célibat, mais dans l’Œuvre, on doit vivre des normes dites de « prudence ».

Difficile d’aller dîner en groupe quand tu ne sais pas si tu seras le seul garçon. Une collègue peut venir te voir pendant une nuit de garde pour te raconter ses problèmes. Une autre qui habite à deux pas de ton centre te voit marcher vers le métro et elle te propose de te déposer chez toi en voiture. Tu t’occupes de trois étudiantes et elles veulent te remercier par une soirée sympa. Une infirmière vient de se faire larguer par son copain et éclate en sanglots devant toi. La sœur d’un malade atteint du syndrome de Down veut savoir la vérité.

En fait, quand une fille m’attirait ou que je commençais à m’attacher à une femme, je « coupais » immédiatement et en parlais dans la direction spirituelle.

Mais un jour, quelqu’un dans l’Opus Dei décida que je devais en finir avec tout ça. On me demanda de prendre une année sabbatique le plus tôt possible. On me suggéra de changer de ville, voire de pays et de faire autre chose. Évidemment on y mettait les formes : « J’étais épuisé, je filais du mauvais coton, je n’avais plus les mêmes centres d’intérêt, je commettais beaucoup d’imprudences, j’avais besoin de prendre du recul, je ne pouvais pas continuer ainsi. »

Cette décision me sembla vraiment violente car je ne pense pas que mon cas était si grave, et elle pouvait avoir des conséquences dramatiques sur ma carrière. Je trouvais absurde de devoir expliquer à mes compagnons et à mes patrons qui me voyaient toujours si enthousiaste, que j’allais disparaître de la circulation. Et en y réfléchissant, j’avais plutôt l’impression que ce « problème » venait de moi. Je ne pourrais pas changer, j’étais comme ça.

On me demandait de travailler sur ma sensibilité. Mais dans mon métier, il y aurait toujours des femmes malades, des infirmières, des femmes médecins et des étudiantes. Et même si je devais travailler dans un collège de l’Œuvre, il y aurait toujours des mères d’élèves, des sœurs d’élèves, des femmes de ménage et des femmes de surnuméraires. Alors, je me voyais déjà relégué dans un centre à coller des tampons sur des papiers, en écoutant les confidences d’agrégés et de surnuméraires veufs.

Tout simplement, un type avec une affectivité aussi débridée que la mienne ne pouvait être à la fois un bon médecin et un bon numéraire.

Je refusais ce qu’on me demandait, cela me semblait inacceptable. Comme ils insistaient, je leur fis comprendre que j’allais partir. Ce forcing m’épuisait et me faisait souffrir car de numéraire bien dans ma peau et amoureux de ma vocation, j’étais devenu un problème et devais me battre avec rage contre ce qu’on me disait.

Ils voyaient bien qu’ils avaient dépassé les bornes, mais ils me firent savoir qu’ils attendaient de moi une grande conversion intérieure. Je savais parfaitement que cette « conversion » signifiait : être totalement disponible, car c’est ce don de soi que la vocation exige. Même si en apparence à ce moment-là, on ne me demandait pas la lune, je savais qu’au moment même où je céderais, je serais pris dans un engrenage. C’est dans cet état d’esprit que je fis ma retraite annuelle avec l’intention de faire, juste après, un voyage rapide en Espagne pour en parler à mes parents.

Pendant cette semaine de retraite, je sortais à peine de l’oratoire. Je priais comme un fou. Je n’avais jamais vécu une telle agonie. Rester dans l’Opus Dei signifiait pour moi détruire mon intelligence car je ne comprenais pas ce qu’on exigeait de moi. Je devais immoler ma volonté, tout donner : mon cœur, mes amis, mon métier que j’aimais tant, un métier prometteur, mon avenir et ma famille, sans oublier mes deux sœurs handicapées dont je devrais sûrement m’occuper un jour. J’avais donc besoin d’avoir un vrai métier. Et on me demandait de m’abandonner totalement entre les mains de personnes en qui je n’avais plus confiance. M’offrir sur l’autel du sacrifice, ici et maintenant ?

Le troisième jour de cette retraite, Dieu, dans son infinie miséricorde, me montra que je pouvais certes lui offrir cet énorme sacrifice et qu’Il m’accorderait sa grâce, mais Il ne me demandait pas cela pour devenir saint. C’est alors qu’au plus profond de mon être, j’eus conscience de ma propre liberté, celle que Dieu avait créée pour moi et qu’Il aimait. Deux chemins s’offraient alors à moi. Je pouvais suivre et aimer le Christ dans ces deux voies, mais la vie ordinaire n’exige pas un héroïsme désincarné comme seule condition pour Le suivre.

Cette certitude scella mon choix. J’allai en Espagne, j’en parlais avec mes parents si merveilleusement compréhensifs. J’obtins un mois de réflexion où je pris conscience que j’étais toujours le même. Je demandais alors à partir. Deux semaines plus tard, je quittai mon centre et on m’accorda « la dispense » deux mois et demi plus tard. Je leur avais fait bien comprendre que ma décision était définitive car elle était le fruit de plusieurs mois de réflexion en présence de Dieu.