Mes droits les plus fondamentaux étaient violés

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Catherine (Espagne, 13 mai 2002)


J’ai été membre de l’Opus Dei, en qualité de numéraire auxiliaire, pendant sept ans. C’est une publicité dans la presse locale pour une école d’hôtellerie qui me fit connaître l’Opus Dei. Elle offrait un diplôme d’administration de foyer et de cuisine aux jeunes filles. Les intéressées devaient passer deux entretiens : l’un à la maison et l’autre dans un centre de l’Opus Dei. L’Espagne connaissait alors une forte récession économique, le taux de chômage était élevé. La garantie de contrats fixes à la sortie de l’école a convaincu mes parents de m’envoyer dans cette école privée.

C’est ainsi qu’à l’âge de quinze ans je commençais mon cours d’hôtellerie. Quatre mois plus tard, je devins numéraire auxiliaire.

J’ai été recrutée de la manière habituelle. Ma famille vivait une épreuve particulière que j’avais signalée durant mes discussions avec la directrice. Elles ont commencé à me suggérer que je prie pour ma famille, que je me confesse toutes les semaines, que je communie tous les jours, et bien d’autres choses encore. Elles m’ont dit que si je suivais la volonté de Dieu, la situation de ma famille s’améliorerait, que j’avais déjà la vocation sans le savoir. Elles me disaient que je serais malheureuse le reste de ma vie si je ne faisais pas ce que Dieu me demandait et que le problème de ma famille s’aggraverait. J’étais terrorisée au moment où j’ai « demandé l’admission » durant la semaine sainte à Rome, pendant un camp qui s’appelle l’UNIV. À mon retour, les directrices me séparèrent des autres étudiantes du cours d’hôtellerie. Le courrier que j’écrivais et celui que je recevais fut censuré, mes appels téléphoniques contrôlés et mes affaires personnelles, fouillées. Je devais présenter les comptes de mes dépenses et remettre le peu d’argent qui me restait ;

Mais ce qui m’a le plus dérangé à cette époque, c’est la manière dont l’Opus Dei surveillait et dirigeait ma relation avec ma famille. On me disait ce que je pouvais ou ne pouvais pas écrire dans mes lettres et ce que je devais dire quand je leur parlais au téléphone. Il y avait toujours une numéraire à côté de moi quand un membre de ma famille m’appelait, écoutant ce que je disais et me demandant, une fois le téléphone raccroché, de lui répéter ce que disait mon interlocuteur.

Il est inutile de préciser que ma famille ignorait totalement le fait que j’étais devenue membre de l’Opus Dei. La directrice m’avait indiqué que je pourrai le leur communiquer à la fin de ma formation. En attendant, elles me demandaient de mentir quand j’allais les voir pendant les vacances. Au retour de ces séjours dans ma famille, les directrices me demandaient où j’avais dormi, ce que j’avais dit, quels journaux j’avais lu.

Ma famille perçut un grand changement dans mon comportement. Toute ma gaîté avait disparu. Je devenais méfiante, introvertie.

À la fin de la formation, les directrices m’indiquèrent la manière dont je devais annoncer à mes parents ma décision imminente d’entrer dans l’Opus Dei. Quand mes parents l’apprirent, ils furent furieux. Ma seule réponse au roulement ininterrompu de leurs questions était : « Telle est la volonté de Dieu. » Très attristés, ils me permirent de repartir au centre pour passer les examens, avec l’espoir que je change ma décision. Mais l’Opus Dei m’envoya dans un autre centre où vivaient de nombreuses numéraires auxiliaires et quelques numéraires, s’occupant de l’administration d’immeubles et de résidences de l’œuvre.

Peu à peu, ma situation de numéraire auxiliaire commença à m’inquiéter. On ne m’avait jamais parlé des responsabilités qui m’incomberaient, me disant juste que les numéraires et les numéraires auxiliaires étaient à égalité, bien que leur travail soit différent. Je réalisais que ma vie dans l’Opus Dei allait consister en de longues et pénibles heures de travail, sans aucune vie sociale.

En outre, il était clair que nous n’étions en aucune manière à égalité avec les numéraires ! Nous appartenions à des classes différentes. Elles portaient des vêtements de qualité alors que nous étions revêtues d’un uniforme et d’un tablier blanc. Nous étions autorisées à nous habiller normalement en sortant du centre, mais avec des vêtements d’occasion, à bas prix. Les numéraires prenaient leurs repas à part. Nous mangions les restes. Nous les servions à table, vêtues d’un uniforme noir à manches longues, col, poignets et coiffes blanches amidonnées et tablier. Leur linge, leur vaisselle, leurs meubles étaient de qualité. Elles disposaient de chambres individuelles alors que nous dormions dans des dortoirs, utilisant les salles de bains communes.

Dans les pays où l’Opus Dei est très représentée, comme l’Espagne ou l’Italie, les deux classes de numéraires utilisent même des oratoires distincts, les uns richement décorés, les autres plus simples, tout en bois. Les numéraires auxiliaires accèdent au centre par des portes de service, généralement situées à l’arrière des bâtiments.

Les différences entre les deux classes ne sont pas seulement matérielles. Le Catéchisme de l’Opus Dei nous définit ainsi : « Il y a d’autres numéraires qui ont un travail manuel et s’occupent des centres de l’Opus Dei. On les appelle servantes. » Le nom de servante a été supprimé. On utilise maintenant simplement le terme d’auxiliaire.

Alors que Les numéraires viennent du milieu universitaire, Les auxiliaires sont recrutées dans les milieux ruraux, pauvres ou modestes. Elles ne peuvent jamais occuper de postes à responsabilité ni travailler en dehors des centres de l’Opus Dei. Le fondateur de l’Opus Dei les considérait comme ayant des capacités intellectuelles limitées. Aussi, pendant les cours annuels, alors que les numéraires suivent des enseignements de théologie, de philosophie et de droit canon, les numéraires auxiliaires reçoivent des cours d’hygiène, de lecture et d’écriture basiques, ainsi qu’une instruction religieuse élémentaire.

Escriva devait les croire incapables de sentiments ou d’émotions. Il interdisait par exemple aux numéraires de prendre un bébé dans les bras, de peur que ce geste ne réveille leur instinct maternel, mais le permettait aux numéraires auxiliaires. Étions-nous si différentes ?

Les directrices nous répétaient constamment que nous étions « les mères » des membres de l’Opus Dei. Pour sûr ! Nous faisions leur cuisine, leur ménage et leur repassage du matin au soir, sept jours par semaine, cinquante-deux semaines par année, et ainsi année après année !

Escriva aimait appeler les numéraires « mes petits enfants ». Il est évident qu’il suscitait en eux une attitude infantile. María del Carmen Tapia disait qu’elle avait parfois honte de voir ces femmes se comporter comme si elles avaient treize ans. Mais les directrices nous incitaient : nous ne pouvions jamais rester seules. Où que nous allions, des numéraires devaient toujours nous accompagner, et cette règle s’appliquait à l’extérieur comme à l’intérieur du centre ! Nous ne pouvions ni posséder ni manier de l’argent, quel que soit le montant. Les numéraires réglaient les achats à notre place.

Voilà ce qu’a été ma vie à l’Opus Dei. Je n’avais que très peu accès au monde extérieur. Les journaux qui nous arrivaient étaient censurés et la télévision éteinte si le programme que nous regardions était classé comme « inapproprié » par certaines numéraires strictes qui avaient le pouvoir d’allumer et d’éteindre le poste.

Elles se moquaient souvent de nos manières campagnardes. Citadines, elles ralliaient nos accents, nos patois ou nos traditions. Lorsque nous étions victimes de leur caractère, nous n’avions évidemment pas le droit de leur adresser des « corrections fraternelles ». De toute façon, la directrice prenait toujours leur parti.

Dans cette vie cloîtrée, il y avait bien peu de place pour l’individualité ou la créativité… Nous menions une vie très réglementée. Certaines contradictions m’apparaissaient entre ce que je vivais et ce que l’on enseignait et je commençai à poser des questions. La menace de l’enfer qui m’attendait si je persévérais dans de telles pensées me fit me tenir tranquille. Mon manque d’instruction me rendait incapable de répondre.

Un jour, cependant, j’ai cessé de supporter tout cela. Incapable de comprendre les contradictions que j’observais autour de moi, je sentais confusément qu’il y avait des choses qui n’allaient pas. Escriva était plus vénéré que Dieu lui-même ! Il se passait parfois des semaines sans qu’on entende le mot « Dieu ». C’était toujours « le fondateur », « le Père » et « notre Père ».

Un matin pluvieux et venteux, j’ai quitté le centre et mes amies numéraires auxiliaires. La numéraire qui m’accompagnait à l’arrêt de bus jeta ma valise par terre et s’éloigna sans me dire adieu. Elle s’était consacrée à Dieu ! En montant dans le bus qui me conduisait chez mes parents, je m’aperçus que je n’avais même pas de quoi acheter un billet… J’arrivai chez moi, confuse, coupable, profondément blessée. Ma famille me tendit les bras. Peu à peu je me rendis compte que le monde n’était pas si cruel ni si diabolique que l’Opus Dei le prétendait. Il y avait beaucoup de bonnes gens à l’extérieur.

Au début, j’ai essayé de surmonter les séquelles de mon séjour dans l’Opus Dei. Je pensais pouvoir m’adapter. Mais j’avais été totalement privée de relation avec le monde extérieur, j’ignorais tout des actes de la vie courante et manquais totalement de confiance en moi. J’eus rapidement besoin de conseils, d’accompagnement. Je fus longue à retrouver un peu d’assurance.

Je retournai à l’école, finis mon éducation secondaire, entrai à l’université et obtins un diplôme académique. J’espère passer une maîtrise dans les années qui viennent. Maintenant j’ai un travail qui me plaît, une maison, une voiture, et des amis.

Beaucoup de numéraires auxiliaires vivent des expériences très proches de ce que je raconte ici. Je regrette que les droits de l’homme continuent à être piétinés par l’attitude et les règles de l’Opus Dei, et que des femmes vulnérables y soient exploitées au nom de Dieu. J’en connais beaucoup, qui bien que malheureuses et malades, continuent à tout donner d’elles-mêmes à cette organisation. J’ai été personnellement le témoin d’automutilations et je continue à entendre parfois la nuit des bruits de pleurs étouffés. Dépressions et troubles alimentaires étaient courants. Certaines numéraires auxiliaires qui ne pouvaient physiquement plus travailler, ont été expulsées sans aucune explication, sans argent, parfois même sans domicile.

Beaucoup se taisent. Peut-être par manque de préparation ou à cause du sentiment de culpabilité qui leur a été inculqué, mais aussi par peur de la réaction des membres de l’Opus Dei et de leur capacité à attaquer ceux qui osent les critiquer.

Je vous supplie de prendre en considération la vie de ces femmes isolées, vulnérables et oubliées. Nous devons leur donner la parole.

S’il vous plaît, priez pour elles.