L'obsession du secret

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Par Bruno Devos, paru dans La face cachée de l'Opus Dei en 2009.


Le goût du secret est inhérent à l’esprit du fondateur de l’Opus Dei. Il imprègne toute la tactique imaginée par saint Josémaria pour rechristianiser la société. On en retrouve donc la présence dès le premier règlement, que voici :

Madrid, le 14 février 1941
RÉGLEMENT

Ce qu’est l’Opus Dei : ses buts et ses moyens

Art. 1
1. L’Opus Dei est une association catholique d’hommes et de femmes qui, vivant au milieu du monde, cherchent leur propre perfection chrétienne à travers la sanctification du travail quotidien. Persuadés que l’homme a été créé « pour travailler » (Gn 2,15), les membres de l’Opus Dei, même s’ils jouissent d’une puissante condition économique et sociale, sont obligés de ne pas abandonner leur travail professionnel (ou l’équivalent).
2. Les moyens que doivent employer les membres afin de parvenir aux objectifs surnaturels proposés sont les suivants : mener une vie intérieure de prière et de sacrifice en accord avec le régime et l’esprit approuvés par la Sainte Église et exercer leurs charges professionnelles et sociales avec la plus grande rectitude.

Catégories de membres

Art. 2
1. Dans l’Opus Dei il y a trois catégories de membres : les membres inscrits, les surnuméraires et les numéraires.
2. Les membres inscrits s’obligent à l’examen de conscience et à une demie heure d’oraison par jour.
3. Les surnuméraires s’obligent à une heure entière d’oraison par jour.
4. Les numéraires, en plus de l’heure entière d’oraison, exercent les charges de direction de l’Opus Dei.

Art. 3
1. Sous aucune exception ne seront admis comme membre de l’Opus Dei ni les prêtres séculiers, ni les religieux, ni les religieuses.
2. Pareillement, d’aucune manière et sous aucune excuse ne seront admis ceux qui auraient été inscrits dans un séminaire, une école apostolique, ou ceux qui seraient passés par des ordres religieux, même si cela n’aurait été qu’en tant que novice ou postulant.
3. Cela dit, les membres de l’Opus Dei qui feront des études ecclésiastiques et seront ordonnés prêtre ne cesseront pas d’être membres de l’Œuvre.

Organes directeurs

[Suivent 5 articles qui parlent d’une assemblée qui se réunit une fois tous les neuf ans afin de choisir démocratiquement les cinq membres d’un Conseil. Ce Conseil se réunit tous les trois mois et s’occupe des questions financières et des messes célébrées à l’intention des membres défunts.]

Suffrages et enterrements

Art. 9
1. Les membres de l’Opus Dei auront soin de faire un testament formel. Ils doivent disposer d’une sépulture modeste, sans aucune vanité.
2. Le Président fera en sorte que soient célébrées les messes grégoriennes coutumières immédiatement après la prise de connaissance du décès d’un membre. Il fera part du décès aux autres membres. Ceux-ci offriront les suffrages qu’ils jugent opportuns.

Revenus et dépenses

Art. 10
1. Les revenus économiques de l’Opus Dei viennent des dons faits par les membres.
2. Le Conseil ne soustraira aucune somme de ce capital.
3. Si les dépenses annuelles s’avéraient inférieures aux revenus, le bénéfice sera offert en don à l’Ordinaire du Diocèse où se trouve le siège social de l’Opus Dei.
4. L’Opus Dei ne peut recevoir de legs et ne peut sous aucun prétexte posséder de pieuses fondations ni de biens immobiliers.

Domicile

Art. 11
L’Opus Dei a un seul domicile national.

Humilité collective

Art. 12
1. La principale caractéristique définitive de l’Opus Dei est l’humilité collective de ses membres.
2. Pour que cette humilité ne souffre d’aucun dommage :
1. Il est interdit de publier tout écrit ou livre comme imputable à l’Opus Dei.
2. Il est interdit aux membres de porter un signe distinctif quelconque.
3. Il est conseillé aux membres de ne pas parler de l’Opus Dei avec les non-membres, puisque l’Œuvre, toute surnaturelle qu’elle est, doit rester silencieuse et discrète.

Dissolution

Art. 13
Si l’Opus Dei disparaissait, les biens qui lui resteraient seraient remis entre les mains de l’évêque du diocèse où l’Opus Dei aura son siège.

« J’ai expliqué tant de fois que ce premier règlement – cette double feuille, comme j’aime à l’appeler – est le foyer qui illumine tout notre chemin et qui, avec le passage du temps, jettera la lumière servant à codifier le style de vie que m’a fait voir le Seigneur en 1928. » En 1943, au moment où saint Josémaria prononçait ces mots, ce règlement était tenu secret. Son fondement théologique (art.1-1) repose sur une interprétation erronée du du livre de la Genèse (II, 15, ut operaretur, anciennement traduit comme « l’homme a été créé pour qu’il travaille »). On verra les conséquences de cette interprétation sur la vie quotidienne des membres. L’objectif proposé, chercher sa propre perfection et son salut, reste très individualiste et les moyens pour les atteindre, bien flous. En revanche, la volonté de secret, appelée ici « discrétion », est exigée. Afin de garantir l’« humilité collective », l’information restera soigneusement fragmentée.

Dans chaque centre de l’Opus Dei, il existe deux armoires fermées à clef. La première est proche de l’oratoire. Elle contient les textes mis à la disposition de membres de l’Œuvre, mais cachés au monde extérieur. On y trouve diverses publications, des lettres du prélat, quelques livres de saint Josémaria qui ne sont pas disponibles en dehors de l’Œuvre, etc. Il est strictement interdit d’emporter ces livres à la maison ou d’en faire des photocopies. Étrangement, l’accès à cette documentation n’est pas particulièrement protégé : il suffit de prendre la clef posée au-dessus de l’armoire. La seconde armoire, en revanche, est toujours placée dans la chambre du directeur. Seuls les membres du conseil local en ont la clef, à savoir le directeur, le sous-directeur, le secrétaire et l’aumônier. Elle contient non seulement les règlements internes cachés aux membres de base, mais aussi certains textes, comme le Catéchisme de l’Opus Dei ou les lettres du fondateur destinées aux membres, qui ne sont mises à la disposition des membres qu’à certaines occasions. Il existe encore une troisième armoire, toujours fermée à clef, dans le centre de la commission régionale de chaque pays. Celle-là contient encore d’autres règlements inconnus des directeurs des centres, ainsi que les Instructions qui auraient été rédigées par le fondateur, dans les années 1930. Il y en a encore probablement d’autres à Rome, au siège central de l’Opus Dei, contenant des règlements ignorés des directeurs régionaux. À cela il faut ajouter les archives secrètes de la prélature, composées de nombreux textes rédigés ou enregistrés par le fondateur. Trente ans après sa mort et cinq ans après sa canonisation, ces archives n’ont toujours pas été mises à la disposition du public.

Lorsqu’un journaliste vient visiter un centre, on fait semblant d’être ouvert, de tout lui montrer. Il visite la maison, l’oratoire, la bibliothèque spirituelle du centre, celle où se trouve la Bible et le Catéchisme de l’Église catholique, quelques écrits d’Escriva, de sainte Thérèse, ou de Jean-Paul II. On ne lui montre pas, bien sûr, l’armoire de la chambre d’à côté, celle qui contient la doctrine enseignée aux membres, surveillée comme un trésor :

Les instructions et les lettres de notre Fondateur et de ses successeurs, les vade-mecum et les expériences, etc., doivent rester au siège du centre auquel ils ont été assignés. On les garde sous clef dans le bureau du directeur et on ne les sort jamais du siège du centre. Si dans un centre il y a une pièce réservée au Conseil local, on peut y garder ces documents seulement si cette chambre communique avec le bureau du directeur. Bien entendu, la clef de l’armoire de ces documents n’est accessible qu’aux membres du Conseil local et doit être rangée dans le bureau du directeur. Pour éviter toute perte d’un document, il faut observer un maximum de prudence : par exemple, les armoires ne doivent jamais rester ouvertes, et un document ne peut rester sur la table s’il n’est pas utilisé. Quand on a terminé de le consulter ou de l’étudier, on doit le remettre immédiatement à sa place.

Dans des cas exceptionnels (un déménagement, par exemple), on transfère ces documents avec la plus grande prudence : dans une mallette exclusivement destinée à cette fin, que le directeur doit toujours garder sur lui. En voyage, ne jamais mettre les documents dans des valises (qui pourraient s’égarer). Dans les gares ou les aéroports, ne jamais les laisser dans des consignes ou autres lieux semblables. Si l’on voyage en voiture, ne jamais les laisser à l’intérieur d’une voiture vide, même fermée à clef.

S’il arrivait qu’un document se perde, il faudrait immédiatement le communiquer à la Commission régionale en donnant les détails nécessaires[1].

Non, il ne s’agit pas d’une consigne donnée aux services secrets chargés de protéger un secret d’État, mais bien des recommandations de la Prélature pour veiller sur les écrits de saint Josémaria, lesquels, depuis sa canonisation, rappelons-le, appartiennent à l’Église universelle !

On n’éclaire pas davantage les nouvelles recrues sur ce qu’est réellement la vie d’un membre de l’Opus Dei, sur ce qu’implique son engagement. Quand j’interrogeais le directeur à ce sujet, il répondait que je n’avais pas besoin de le savoir. En réalité, au travers du flou de sa réponse, il me transmettait la doctrine officielle de la Prélature :

Pour que l’incorporation [à l’Opus Dei] soit valide, l’intention d’assumer les obligations correspondantes suffit, même s’il n’y a pas de conscience actuelle au moment de l’incorporation[2].

Autrement dit, l’Opus Dei ne s’estime pas tenue, pour valider le contrat d’admission, d’informer les futurs membres de leurs obligations. Celles-ci leur seront dévoilées progressivement, lors de la phase initiale de formation qui dure trois ans et demi. Chaque nouvelle obligation n’étant révélée qu’une fois la précédente assimilée, il est très difficile pour les nouveaux membres d’avoir une vision globale de ce à quoi ils s’engagent. Ce n’est qu’au bout de cette longue période de formation initiale qu’ils le percevront, si toutefois ils ont encore le recul nécessaire à cette analyse.

Dans le même esprit, les enseignements ne sont pas mis à leur disposition. Les participants aux cours de formation n’ont pas accès aux écrits de ce qu’on leur enseigne, et n’ont pas le droit de prendre note du contenu des causeries.

Pendant les causeries de formation et les réunions où l’on utilise ces documents, on ne peut prendre aucune note. On ne peut non plus les enregistrer. On ne peut copier aucune citation du programme de formation initiale. On ne peut ni prendre de note, ni copier des points du Catéchisme de l’Œuvre[3].

Dans les cours annuels, les rencontres et les retraites de numéraires et d’agrégés, on peut autoriser la lecture des documents internes, mais chaque soir le directeur devra vérifier que tous les exemplaires sont revenus. Cela évitera ainsi toute perte[4].

Cette stratégie semble avoir pour but d’empêcher toute critique envers les enseignements de l’Opus Dei. Les participants n’ayant pas accès aux sources, il leur est impossible de souligner ce qui leur paraît discutable, encore moins de s’y référer : si l’un d’eux fait part de ses doutes aux directeurs, il reçoit invariablement cette réponse : « Tu as mal compris, il ne s’agissait pas de cela, celui qui dirigeait la causerie s’est mal exprimé », etc.

Les photos elles-mêmes sont sous contrôle :

Les photos de différents séjours, réunions et excursions se conservent dans une archive fermée à clef et sous la garde du conseil local[5].

S’il semble opportun de prendre une photo dans un centre lors de la visite d’un hôte, il n’y a pas d’inconvénient à ce que vous ayez ce geste de délicatesse à condition que ce soit vous – mes enfants – qui preniez cette photo. Vous en enverrez un ou plusieurs tirages aux intéressés, mais jamais leurs négatifs[6].

Pourquoi tant de précautions ? Quel secret capital convient-il de préserver ? Ou bien ne s’agit-il ici que de fomenter une nouvelle suspicion à l’encontre du visiteur, susceptible d’utiliser les négatifs ou de la déposséder d’une image d’elle-même ? Prendre une photo est un geste spontané, et comme tel, il doit être bridé, tout contact avec l’extérieur étant strictement sous contrôle.




  1. Vade-mecum du gouvernement local, 19 mars 2002, p. 25
  2. Catéchisme de la Prélature de la Sainte Croix et Opus Dei (édition de 2003), n° 67.
  3. Vade-mecum du gouvernement local, 19 mars 2002, p. 137.
  4. Vade-mecum des Conseils locaux, 19 mars 1987, p. 146.
  5. Vade-mecum du gouvernement local, 19 mars 2002, p. 184
  6. Saint Josémaria, Instruction pour les directeurs, 31 mai 1936 (publiée et probablement rédigée en 1967), n° 100.


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