Du don de soi à la perte de soi

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Par Bruno Devos, paru dans La face cachée de l'Opus Dei en 2009.


« Celui qui veut gagner sa vie la perdra, mais celui qui la perd la sauvera » – L’Église voit dans ce paradoxe exprimé par Jésus l’appel au don de soi. S’oublier au profit de l’autre est une idée ancrée dans une longue tradition chrétienne. Vécue de manière radicale, elle peut aboutir à une véritable perte de soi.

Voyons ce que préconise à ce sujet saint Josémaria :

Que mes enfants n’oublient pas qu’ils viennent obéir, qu’ils viennent passer inaperçus[1].

Quand tu t’oublies toi-même, que tu oublies ce qui te concerne, tu fais du bon travail[2].

Le don de soi consiste principalement à ne pas penser à soi[3].

Je suis sûr que tous les conflits de chacun de mes enfants peuvent se résoudre, quand à l’heure de l’examen de conscience, ils peuvent vraiment dire : « Jésus, je ne me suis pas occupé de moi, je n’ai pas pensé à moi. » Quand tu te comporteras ainsi, tu seras devenu une âme contemplative, tu seras ipse Christus (le Christ lui-même)[4].

J’insiste : je donne comme remède à tous les problèmes personnels le fait de ne pas penser à soi et de s’occuper des autres, pour Dieu. C’est ainsi que l’on parcourt les chemins de la terre en préparant les chemins du Seigneur[5].

Érigé en commandement sans nuance, sans analyse, sans réflexion et partant, sans véritable adhésion, l’oubli de soi devient très vite un total déni de soi.

Je ne vaux rien, je ne possède rien, je ne sais rien, je ne suis rien, rien[6] !

Bien évidemment les petits plaisirs sont proscrits puisqu’il faut être « détaché de tout ». Toute habitude, tout désir personnel constitue un attachement terrestre. On donne en exemple aux membres de l’Œuvre leur fondateur qui ne cessait de répéter :

Quand on doit choisir une chose pour son usage personnel, on préférera ce qu’il y a de moins attirant, de moins sympathique[7].

Les membres qui prennent cette indication à cœur culpabilisent quand ils se sentent tout simplement bien. Ils sont même susceptibles de faire taire en eux tout désir, puisque la seule idée de « se faire plaisir » frôle le péché. Toutes ces petites satisfactions quotidiennes qui peuvent procurer de la joie sont réduites à l’idée de « compensations », de recours pour échapper aux « exigences de la vocation ». Combien de temps peut-on survivre dans un tel reniement ? À quel moment va apparaître ce sentiment de vide, d’absurdité, de désespoir ? Saint Josémaria avait prévu cette éventualité et donné la solution suivante :

S’il nous arrive un jour – devant tant d’effort, d’aridité – d’avoir l’impression de jouer la comédie, nous devons réagir ainsi car l’instant merveilleux de jouer la comédie devant un spectateur divin est arrivé :
Nous ne pouvons abandonner notre vie de piété, notre vie de sacrifice, notre vie d’amour. Jouer la comédie devant Dieu, par amour, pour plaire à Dieu, quand on vit à contre-courant, c’est être un jongleur de Dieu. Il est beau – n’en doute pas – de jouer la comédie par Amour, avec sacrifice, sans aucune satisfaction personnelle, pour faire plaisir au Seigneur qui joue avec nous. [...]
Nous devons faire notre devoir non parce que cela nous plaît, mais parce que nous en avons l’obligation. Nous ne devons pas travailler parce que nous en avons envie, mais parce que Dieu le veut : et nous devrons travailler en outre de bonne grâce. L’amour le plus exquis, celui qui rend l’âme heureuse, jaillit dans la douleur et dans la joie de renoncer à nos inclinations personnelles pour servir le Seigneur et sa sainte Église[8].

L’amour peut faire souffrir, c’est entendu. Affirmer cependant que « l’amour le plus exquis jaillit dans la douleur » est aussi faux que dangereux, tout comme : « la joie a des racines en forme de croix », contribue à répandre un dolorisme que l’Église très majoritairement, réfute.

S’il est vrai que l’égocentrisme est contraire à la vie spirituelle, l’invitation à « ne pas s’écouter soi-même » doit être largement expliquée, nuancée, au risque de se perdre. Ce risque guette chaque entrant à l’Opus Dei puisque son recrutement s’adresse à des personnes ayant le désir sincère de servir. En invitant les membres, et tout particulièrement les numéraires, à renoncer à leurs aspirations, à refouler une part d’eux-mêmes, à faire de toute tâche un travail sanctifié, à renoncer au plaisir, à se mortifier, l’Opus Dei fait disparaître l’individu au service de la communauté, mais d’une communauté réduite à elle-même. Travailler pour l’Œuvre, vivre pour l’Œuvre, s’oublier pour elle, afin de « n’être plus qu’Opus Dei ».

« Passer inaperçu » voilà l’idéal proposé aux membres de l’Opus Dei : ne pas poser de problème, ne pas avoir d’opinion personnelle, se laisser conduire comme un enfant. La tradition chrétienne, profondément marquée par l’idée d’enfance spirituelle – l’abandon à Dieu – est réduite ici à un comportement infantile, un abandon servile aux mains des directeurs : « Enfant, l’abandon exige la docilité[9]. »




  1. Saint Josémaria, Seul avec Dieu, n° 188.
  2. Ibid., n° 118.
  3. Ibid., n° 114.
  4. Saint Josémaria, méditation 13 octobre 1963.
  5. Ibid. 20 janvier 1967.
  6. Saint Josémaria, Chemin de croix, éditions Le Laurier, 1983, XIIIe station, point 5.
  7. Saint Josémaria, Instruction, 31 mai 1936, nota 137.
  8. Saint Josémaria, Lettre Videns eos, 24 mars 1931, n° 18-19.
  9. Saint Josémaria, Chemin, op. cit., n° 871.


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